Témoins impassibles de ce que nous ne contemplons jamais, ces figures de bronze adressent une leçon de vie à l’occidental qui se satisfait – bêtement – de ce qu’il voit, au lieu d’être heureux – simplement – de ce qu’il vit. Que disent-ils, en silence, ces enfants de tous âges ? Ces rescapés muets d’un monde qu’une divine méprise confie à nos âmes égarées? Ils disent qu’ils voient clair et n’espèrent pas. Ils parlent d’un pays – le nôtre – où nul ne sort du ciel qui le contient, d’un univers où le pire est toujours certain, d’un monde cruel, routinier, injuste, où le crime paie, où la terre tourne autour du soleil, où le ciel n’est pas bleu, où les anges n’existent guère, où chaque année de plus est une année de moins, et où l’amour ne dure pas.
Mais ils parlent aussi d’un monde dont le non-sens ne les indigne pas, où il faut accepter les cicatrices et les rides que l’existence dépose sur nos visages, d’un état dont la main du sculpteur dit simultanément la douleuret la joie, d’un “plurivers” dont la cruauté insensée n’est domptée que par la douceur et la bienvellance. D’un monde infernal, monstreux, mais dont chaque instant peut-être un miracle pour celui qui s’en contente. D’un monde sinistre, merveilleux, magnétique, diforme, comme une côte surnuméraire au dos d’une Vénus alanguie, dont les détours sont familiers à ceux qui les écrivent, les peignent ou les sculptent, et insupportables aux autres qui meurent, perplexes, avant d’avoir vécu.
Terre crue
Nous étions nés pour ne jamais vieillir, semblent nous dire ces visages douloureux. Et pourtant, l’admirable tremblement de leur regard ne provient peut-être pas uniquement de Ia simple menace du temps, les espoirs comme des insuffisances nouvellement éprouvée a vivre dans l’absolu, seuls. Quel ” miracle ” attendent-ils ?
Vers qui est-elle tournée, cette “prière” ?
Et pourquoi ne leur répond-on pas ? Tout semble dirige vers un ailleurs qui échappe désormais à leur vision. Car ce ne sont pas des visages qui voient, mais des visages qui ont vu. Et qui savent désormais. Comme si leur destin était soudain tout entier devant eux.
Mais qu’ont-ils vu, exactement ? À cette question, je crois qu’il n’y a de réponse extérieure à l’apparence elle-même – et peu importe, au fond … Reste cet effroi, ainsi qu’une étrange désolation, aussi inquiète qu’inquiétante, et qui appelle encore – mais quoi ? Le mental n’apportera là-dessus aucun réconfort (voyez comme ces visages sont systématiquement privés d’une partie de leur boîte crânienne) ; le corps n’apparaît pas. Alors où puiser le secours, sinon dans l’exploration de ce tréfonds où le primitif rejoint mystérieusement le monstrueux …
Est-ce cela, Marine, ce qu’on appelle magnifiquement se perdre?